Compte rendu sensible du Labo Processus créatif. Ecriture automatique

Nous sommes au 2ème jour du labo. La proposition de Marie était de m’observer pendant mon labo plagiat et je lui ai proposé de faire la même chose pendant son labo écriture improvisée.

Nous  nous retrouvons une demi-heure avant le début du labo pour préciser le process que nous allons suivre.

Marie me dit qu’elle désire improviser sa séance, qu’elle désire un temps assez long d’écriture automatique sans interaction. Elle dit que le temps va engager le corps, qu’elle cherche un engagement physique. Elle pense que la douleur amène à un état de conscience modifiée. Elle cherche à agir sur les supports d’écriture ainsi que sur la durée des exercices pour créer ce déséquilibre. Elle veut garder les participantes dans un certain inconfort afin de voir comment elles réagissent aux différentes contraintes.

Pour ce faire elle va  :

  • Agir sur l’écriture
    Changer de support et changer les crayons
    Créer une activation sensorielle pour modifier leur état
    Séparer les cobayes ou les laisser ensemble

Alors qu’elle m’explique encore sa démarche et les différents exercices qu’elle va faire, elle ne me laisse pas parler mais me regarde. Je sens que je ne peux pas dire grand chose à ce moment-là.

Elle se lève. Elle bouge beaucoup.

Elle a structuré le temps.

Elle me coupe la parole. Elle se justifie sur sa démarche. Elle me dit qu’elle veut une phase libre et une phase sensorielle.

Elle veut comprendre, constater comment on est agit de l’extérieur. L’impact psychologique sur le processus créatif.

Marie est très activée par l’extérieur. Tout comme moi, elle a un processus créatif plutôt analytique.

Elle redéfinit son protocole de temps: 30 minutes puis 1h30 puis 1h.

3 fois qu’elle me coupe la parole. je ne sais pas si je ferai quelque chose de ça.

Comme elle me sollicite beaucoup et que je suis son interlocuteur depuis le début, je me permets de lui poser une question : « Vu que tu es en impro, que le temps est contraint et que tu as envie de plein de choses, qu’est-ce que tu comptes sacrifier ?”

Je crois que dans son expérience, elle a peur elle aussi d’être agie de l’extérieur. En m’empêchant de parler, elle pense  que je peux agir sur elle ?

10h30. Elle annonce aux participantes, debout, la consigne. Je la trouve tendue.

Je ne suis pas sûr d’être capable de suivre son protocole clinique d’observation de la séance comme elle le fait elle-même car j’ai besoin de me sentir agissant. Il est pour moi impossible de m’abandonner complètement, de me perdre, d’être complètement extérieur au processus. Observateur subjectif. Certaines personnes m’ont déjà dit qu’elles me verraient bien en psy. Je leur ai toujours répondu que j’aimais trop parler de moi pour que ce soit possible.

10h38. Elle vient me parler à l’oreille. Elle semble toujours inquiète. Elle sourit. Elle part faire du café.

De mon côté j’essaie de me tenir  à ce compte-rendu clinique. J’espère que ça répondra à sa commande. C’est drôle en relisant mes notes je vois que j’avais écrit « je ne sais pas encore si je parlerai de mon ressenti. Est-ce que j’arriverai à m’extraire ?”. J’étais moi-même dans mon processus créatif et je ne me rendais pas compte que j’avais déjà commencé à parler de mon ressenti par rapport à la séance.

10h40. Elle rit. Elle vient me demander si je ne peux plus la saquer.

Je reconnais son processus créatif dans le fait de prévoir beaucoup de matières (extérieur). Marie vient toujours avec beaucoup de matière en création (vêtements, livres…),c’est quelque chose qui la rassure.

Elle ritualise et bouge beaucoup. Elle a beaucoup fouillé dans son sac . elle a posé un petit soldat sur la table. peut-être pour nous surveiller pendant son départ. je lui demande où elle est allée. Elle me répond qu’elle a posé des craies dans la salle atelier. Elle a rebranché son téléphone après m’avoir proposé le chargeur.

10h45.  elle met l’eau dans la cafetière. Elle l’a lancée à 10h30. La cafetière n’est toujours pas allumée. je décide dans un premier temps de ne pas intervenir mais j’ai envie d’un café et je pense qu’elle n’y retournera pas.

10h47. Elle branche son ordinateur. Elle a toujours besoin de se recharger. Elle écrit sur son ordinateur les questions du debrief car elle dit qu’après elle sera trop engagée dans le processus pour y penser. Elle me dit que les choses deviennent plus claires pour elle, suite à ce que je lui ai dit tout à l’heure.

je pense qu’elle se reconnecte à moi pour se rassurer et aussi peut-être parce qu’elle culpabilise un peu, comme qu’elle pense que je ne peux plus là saquer. Pendant tout ce temps et jusqu’à présent j’ai essayé de parler le moins possible. D’agir le moins possible sur son propre processus créatif. Je me suis concentré sur l’écriture et le rapport des faits. Avec toujours une part de subjectivité bien sûr.

Pour moi, elle est  aussi en plein processus créatif. Je perçois pour le moment 2 phases dans son processus  :

le besoin de se rassembler, de s’isoler pendant la phase initiale de réflexion.

Phase de réassurance auprès de moi. Elles s’enquiert davantage de la nature de notre lien que de ce que je pense.

10h54. Elle a décidé de commencer à perturber leur contenu par des stimulations extérieures. Pas d’influence psychologique par d’autres artistes. Elle souhaite s’extraire de leur propre processus créatif. Elle veut les encourager, les valoriser. Ne pas les inhiber par la comparaison l’une avec l’autre.

C’est une question qu’elle se pose souvent elle aussi. Elle a peur d’être inhibante, que ce soit avec moi ou avec les différents stagiaires que nous croisons.

10h57. Elle a pris une photo du texte de Bérengère.

10h59. Elle pose la cafetière sur la table. Je lui dis que je vais mettre le couvercle. Elle revient le mettre en disant: « pas du tout ça !”.

Depuis le début du labo elle est comme dans un état second. Complètement happée par son propre processus.

11h. Elle remplace les feuilles A4 par de petites feuilles. Elle dit à tout le monde que c’est la phase 2.

11h02. Elle prépare de grandes feuilles, ce qui fait beaucoup de bruit et semble déranger Bérengère. Christelle est imperturbable. Marie continue de s’agiter et de faire beaucoup de bruit. Avec les feuilles, avec la boîte de stylos.

11h04. Elle change les feuilles tout en leur demandant de continuer d’écrire. Christelle réagit par un gémissement guttural. Marie continue de s’agiter.

11h05. Marie retourne sur son ordinateur. Il semble que son activité, de par son agitation a augmenté. En 4 minutes, elle a fait beaucoup plus de choses que pendant les 30 minutes précédentes. Elle check son téléphone. elle prend son iPad. Elle donne sa tablette à Bérengère et son ordinateur à Christelle. Elle agit beaucoup sur ses cobayes.

Elle trouve que Olivier et Valérie sont un couple méchant car elle a entendu : “C’est pervers !”. Évidemment c’est une plaisanterie. Des 2 côtés ?

11h10. IPad. Christelle et Bérangère réagissent très négativement. Elles n’aiment ni l’iPad, ni l’ordi pour écrire. Cela insécurise à nouveau Marie qui rit 2 fois. Bérengère préfère ne pas passer le clavier en minuscule et écrit des chiffres à la place des lettres pour garder la frénésie, comme une peur de perdre son état.

11h12. Marie court et continue de s’agiter. Elle est elle-même rentrée dans une frénésie créative. elle fait plein de photos.

Je pense que pour elle, ne pas être agissante est très compliqué ; ne pas communiquer non plus.

11h16. Marie leur impose un nouveau format d’écriture.

Elle dit qu’elle vient m’embêter. Elle est très énervée. Elle vient me parler. Elle vient me parler de plus en plus. Elle s’agite de plus en plus. Elle dessine une bite sur mon cahier.

11h20. Elle me montre les bonbons. Elle se demande si elle en fait manger maintenant ou si elle doit leur faire avoir froid avant.

11h23. Elle a fait sortir les filles. Elle a demandé à Bérangère d’enlever son pull. Bérengère a refusé. Je lui ai dit de demander à Christelle si elle ne l’avait pas fait avant. je pense que n’osait pas parce qu’elle connait peu Christelle. Elle demande à Christelle. Christelle enlève son pull sans même réfléchir.

11h27. Marie est très contente du déroulement du labo. Elle semble rassurée.

11h34. Discussion sur l’alcoolisme, Deleuze, Beckett. ” la vie est une faute d’orthographe dans le texte de la mort”.

11h35. Elle va les emmener en voiture. Elle me dit qu’elle ne va pas mettre de musique. A leur retour, on apprend qu’elle leur a mis de la musique.

Temps d’attente. Marie partie, je reste avec Olivier et Valérie dans un temps calme. je remarque que cela fait depuis 11h16 que je n’ai pas écrit sur moi ou mes pensées. Il se passait beaucoup trop de choses à l’extérieur. Comme si toute cette agitation avait agi sur moi. Ce qui me ramène à cette question de concentration et de retour sur moi. J’étais certainement suffisamment stimulé pour avoir moins besoin de faire des allers-retours. Je me sens à ce moment-là vide. Fatigué.

11h54. Retour de Marie et des cobayes dans la salle création. Retour du bruit. on va tous dans la salle création.

12h. Elles écrivent par terre à la craie. Bérengère continue dans sa colère de parler de son état. Bérengère semble être dans une expérience analytique. Christelle reste dans son récit. Bérengère écrit vite, elle dessine vite. Christelle essaie d’être lisible, elle est plus lente et appliquée. Le sol donne de nouvelles possibilités à Bérangère. Est-ce le sol ou la durée de l’expérience ? Elle se met à écrire à l’envers. Christelle se met à écrire plus petit pour continuer. Bérengère vient communiquer avec Christelle. Elle écrit : “ça va ? ». Christelle répond qu’elle n’a jamais été aussi bien. Christelle retourne à son travail et Bérangère reste dans sa colère. Elles se séparent. Je remarque que Marie est absente.

la craie permet d’effacer le texte, ce que Christelle n’avait pas fait avant

Marie revient et me dit que la fin de l’atelier l’angoisse, que c’est la raison de son absence. Elle revient conclure. Elle rit. Je l’ai rassurée en lui disant que c’était intense et que ça se passait très bien.

Christelle dessine des poissons sur le sol qui deviennent du texte, un peut comme les poissons qui quittent la mer pour devenir l’humanité.

12h10. Christelle demande quand ça s’arrête. Marie répond dans 20 minutes.

Cette expérience est au final aussi une expérience sur la solitude de la création. Bérangère a besoin de se connecter . Même dans son texte elle cherche l’autre. Bérengère a dit que c’était une expérience horrible. Je trouve que Christelle a un processus de création qui tend vers une mise en forme.

La fatigue se fait un peu ressentir. Bérengère écrit des listes des artistes qu’elle admire.

Je ne numérote pas mes pages pour me repérer mais pour me prouver que je suis capable d’écrire. Retour sur moi car je m’ennuie un peu.

Marie est très calme alors que la fin approche.

Bérengère a écrit sur le mur. Elle a dessiné une bite. Pourquoi ? elle dit que c’est parce que ce monde est hétéronormé. Ce qui est vrai et patriarcal aussi. Mais pourquoi elle l’a dessiné à ce moment-là et sur le mur en plus ? elle a dessiné une bite sur le mur. Une transgression de la règle par une bite. Est-ce qu’une bite dessinée sur un mur est la représentation la plus simple et radicale de la contestation ? Certainement.

Je me rends compte qu’en général le résultat artistique m’intéresse peu. Ce qui m’intéresse c’est le processus qui me permet de comprendre l’artiste. Je pensais ça depuis longtemps mais ça se confirme. Je lis assez peu ce qu’elles ont écrit, ce n’est pas ce qui m’intéresse.

Je crois que tout le monde a atteint un certain état de transe, Christelle a écrit dans un langage imaginaire inventé.

Pour moi, Marie est passée par 4 états: inquiète, frénétique, prise dans la création et enfin détendue.

L’expérience est terminée, c’est le moment d’un échange. Cet échange est articulé autour de plusieurs questions.

  • Savez-vous identifier les 3 phases du labo ? Comment raisonnent elles en vous?
    Qu’a produit sur vous l’écriture automatique ? Avez-vous vu quelque chose d’artistique ? Si oui à partir de quand ? A-t-elle ouvert un lâcher-prise artistique? Êtes-vous alors entrées dans le flow ? En êtes-vous sorties ?
    Combien de pages pensez-vous avoir écrites ?
    Qu’est-ce que les éléments extérieurs ont produit ? Leviers ou inhibitions ?
    L’inconfort est-il nourrissant ou polluant ? Et le confort ?
    Estimez-vous qu’il y a une matière artistique intéressante dans votre production?
    Est-ce que vous pourriez exploiter cette matière au plateau?

Beaucoup de questions pour 15 min de réponses. Je ne dois pas perdre le fil de mon intervention. Je dois continuer d’observer Marie même si j’ai l’impression que c’est terminé.

Marie tape les réponses sur son ordinateur. Je crois qu’elle a pris le risque de déplaire, d’où son insécurité.

Bérengère et Christelle ont mal à la main. C’est mon cas lorsque je suis tendu par l’écriture, mais là ce n’est pas le cas alors j’ai écrit plus de 20 pages.

Christophe Le Cheviller