Moi au milieu de Meta : 2

“2”, est un spectacle très simple sur le papier. L’idée m’est venue en allant assister à un concert de musique improvisée. A la fin du concert, l’un des 2 musiciens me révélait, qu’ils n’avaient absolument rien préparé… Pas de point de départ, de registre, de concept, simplement une écriture motivée par la relation de ce duo, l’écoute et l’envie de se surprendre, de réécrire un nouveau langage musical, propre à eux seuls et ouvert à un public.

C’est évidemment plein d’excitation que j’allais trouver Julien Gigault, pour tenter d’adapter ce “concept” à l’impro. Nous sommes assez vite tombés d’accord sur ce que nous souhaitions faire : jouer simple, avec ce qui est (Lui, moi, table, chaises, eau, pendule, public), pendant 62 minutes… Et surtout, rien d’autre, par peur de perdre cette précieuse excitation qui nous habitait. C’est drôle qu’en 20 ans d’impro, je n’ai jamais osé faire ça avant… Je pense que les rencontres et les envies sont toujours liées à un moment précis. Sur le papier, encore une fois rien de bien effrayant. Juste l’envie d’en faire un moment exceptionnel.

Et c’est parti !

Drôle de moment que ce spectacle construit sur la peur de deux comédiens chevronnés, et sur le refus. Sur les 62 minutes, j’ai savamment passé 20 minutes à refuser d’avancer. Je m’accrochais désespérément à ce moment magique ou tout était encore possible, par peur d’être déçu par notre prestation, qu’elle ne soit pas au niveau de nos attentes respectives.  Car ce qui s’est dessiné, n’est pas un bal de virtuosité. Nous avons découvert ensemble, que ce soir là, il nous était impossible de partir sur une belle histoire, bien construite, ou des impros courtes, variées comme on les aime. Non, ce soir là, nous avions décidé d’être ailleurs, nous jouions du free jazz…

Cela commence par des négociations entre 2 improvisateurs… Un table, deux chaises, une bouteille d’eau, et un radio réveil lancé à la fin de la présentation du spectacle :

– Tu as commencé à jouer là ?
– Non je n’ai pas allumé le réveil.
– Pourtant tu joues…
– Oui mais ça ne compte pas, je n’ai pas allumé le réveil…
– Mais moi je joue, alors que le réveil n’est pas allumé ! J’arrête, je commencerai à jouer quand le réveil indiquera 5 minutes de passées…
– T’es pas capable…
– SI !

Il allume le réveil… A une minute passée…

– Je suis une merde, je n’ai pas réussi à tenir jusqu’à 5…
– Je te l’avais dit…

Voilà sur quoi nous étions partis. Moi accroché à la peur de rater ce magnifique rendez-vous, attendant un bus, que j’avais peur de prendre car je ne savais pas où il irait. Nous étions au milieu d’une tragédie annoncée, où le temps qui passe, minute après minute, serait notre fil conducteur, notre promesse dramatique, permettant de prophétiser des évènements qui arriveraient, ou pas… Un spectacle obsessionnel passant son “temps” à se citer lui même, et laissant ses auteurs donner libre cours à leurs désirs, leurs angoisses, leur amitié… reprenant même à notre compte certains standards que nous condamnons en impro, pour les mettre en abîme : mouettes, robots, zombies…  racontant que par le passé, j’aimais jouer Jésus sur sa croix, et me visser moi même avec une visseuse électrique…  Julien se clouait au mur, et nous reprenions un instant ces gestes cabotins, enfouis du passé pour en faire autre chose… Entre hyper conscience de ce qui se joue, et lâcher prise.

Pendant 20 minutes nous avons tendu la situation, restant chacun sur nos positions, pour les confronter, et ne pas se précipiter dans la facilité… Une chute vertigineuse et angoissante… Sublime pour moi… J’ai eu des retours disant que j’étais rude, ou en manque d’écoute… Vraiment je ne crois pas 🙂 Je tenais. Je ne VOULAIS pas que ce spectacle ne soit pas fidèle à nos promesses. Rude ? Nous l’étions ensembles, à attendre le bon moment, embusqués. Pourquoi lui ou moi aurions cédé ? Car c’était exactement ce qui se jouait, et le danger de ce OUI, qui nous aurait desservi. Le public était un public en grande partie d’improvisateurs, parfois perdus, parfois applaudissant les punchs ou les exploits, tels des solos de jazz. Nous avons joué avec lui, mais pas pour lui. Nous n’avons pas cherché à nous rassurer.
20 minutes plus tard…
Et au bout de 20 minutes, sûrs de nos acquis, nous avons lâché et nous nous sommes trouvés. Ce n’est pas que cela ramait au début. Je n’ai jamais eu l’impression d’être perdu. Nous n’étions juste pas encore 2 mais plutôt 1+1. Et puis le petit miracle que nous attendions, que nous guettions, un tourbillon de 35 minutes, allant du récit intime, à l’attaque de zombies, et ceci toujours sans justifier, juste surfer sur cette vague de plaisir, une fois la peur passée et le serment tenu. Nous avons passé notre temps à ouvrir des portes, que nous avons refermées, une à une à la fin du spectacle. Nous avons continué notre quête, notre lutte. Nous avons été fidèles et courageux.

Nous avions tous deux une vision globale du spectacle. Sans savoir où nous allions, nous avons combiné et utilisé tous les éléments joués. Ce qui était dit, et le registre dans lequel c’était joué. Cela a donné une écriture très théâtrale, toujours sur deux niveaux : ce qui est joué, et ce qui est vécu par les comédiens le jouant… enivrant.

Puis arrive la fin. la dernière minute. Une promesse dramatique. Celle d’un baiser entre nous deux. Une promesse faite à plusieurs reprises. Et Julien, dans un dernier refus magnifique, sortait à la 59ème minute chargé d’une belle émotion, me laissant “seul” avec ce baisé. Nous commencions par un refus, et nous finissions par lui aussi, laissant le public avec sa frustration. C’était la meilleur fin possible.

Nous avons, Julien et moi traversé ce spectacle comme des cascadeurs. Le vrai risque de ce spectacle aurait été de faire ce que nous savions faire et trahir ce rendez-vous. Certaines personnes du public étaient enthousiastes et touchées par la démarche, d’autres mitigées, et enfin d’autres plus circonspects… En tout cas, tout le monde était conscient d’avoir assisté à un moment à part… Je ne sais pas si c’est un spectacle ou une performance, en tout cas c’était une expérience unique. Je ne sais pas non plus vraiment si nous étions en état de grâce ou en travail… en tout cas je veux vivre un autre “2”.

Publié le 16 juin 2015 par Christophe Le Cheviller