Article sur l’exposition “Plates Coutures” à Saint Nazaire

Maux tus et bouche(s) cousue(s)

Après le musée Jean-Lurçat d’Angers, la performeuse rennaise, Marnie Chaissac investit jusqu’au 1er septembre le Garage avec Plates coutures… Une exposition qui peut donner du fil à retordre à qui ne veut voir « le sujet exister dès lors qu’il est une femme ».

« On préfère que les femmes soient muettes. Mais moi, je ne peux pas me taire. » Et tenter de lui coudre la bouche – comme elle l’opère sur d’autres ! – serait peine perdue. Galvanisée par une foi artistique intrinsèquement engagée, Marie Parent, alias Marnie Chaissac (de l’art brut à la Hitchcock !) « aimerait [se] taire davantage. Mais il y a urgence ». Et même lorsqu’elle performe sans mot dire, muette, elle ne peut l’être entièrement… Contorsionnée sur sa chaise style prie-Dieu, Marnie perfore la toile, ose l’infâme « en s’attaquant », dans ce silence de cathédrale, aux œuvres des plus grands maîtres du XIIIe au XIXe siècle (Botticelli, Raphaël, Wermeer, Degas, Picasso et tant d’autres), – « uniquement des reproductions, tient-elle à rassurer ! Des toiles peintes par des hommes qui mettent en scène des femmes. Uniquement ». Un silence de cathédrale qui fait grand bruit. Plates coutures dénonce, bouscule, provoque, « peut choquer, exaspérer, faire scandale. C’est déjà arrivé ». Un silence qui révèle les maux, trop tus, d’une société encore trop patriarcale. Dans ce contexte, cette exposition vient « rétablir une vérité invisibilisée » qui tend à s’affirmer, s’afficher dans ce climat de « tensions fécondes entre sacré et profane ». 

Sois muse et tais-toi

En silence donc, l’aiguille dans une main et ce fil rouge, qui glisse, rouge – rouge correction, rouge danger, rouge colère, rouge sang – autour de son cou-bobine, tel un prolongement de sa création en cours. Marnie devient l’artiste iconoclaste, la porte-parole de ces femmes muettes, figées sur la toile (comme dans la vie, ne l’oublions pas) avant qu’elles n’aient été érigées, sans consentement, aucun forcément, au rang d’icônes éternelles. Des femmes modèles, presque fantômes cantonnées à ce rôle de muse ! Sois muse et tais-toi. Expression revisitée aux relents pré #Metoo qui n’amuse plus. Et si Marnie les pique, les troue, perce leurs yeux, les pénètre, les traverse, ligote leurs mains, les torture, les entrave, crève leur cœur, c’est pour mieux les venger. « Les venger de toutes les choses auxquelles elles n’ont pas eu accès, de toutes les maltraitances subies. » Si Plates coutures bat en brèche une vision rétrograde, elle met le doigt sur une réalité, tragique et toujours d’actualité, malgré les siècles passés : sur les violences faites aux femmes, « sur le fait d’empêcher la parole et le sujet d’exister dès lors qu’il s’agit du sexe faible ». 

« Moi, je comprends ce que tu fais M’dame, tu fais des fantômes. Elle a été tuée par son petit ami. » Parole de visiteur.

« J’ai fait la peau à Picasso » 

N’allez pas croire que Marnie est une redresseuse de torts. Les torts, « je les visibilise, les dis. Je montre l’arnaque ». Ne pensez pas non plus qu’elle joue les tortionnaires par plaisir ; elle souffre dans sa chair de devoir les maltraiter. Pour mieux les réparer : « C’est hyper angoissant, j’avoue. Et pourtant, en les perçant de mon aiguille, en les tuant symboliquement, je les réanime, je les fais revivre, je leur offre un second souffle », assure la performeuse rennaise qui aime à s’inviter dans la peau de ces femmes, de celles qui auraient décidé « d’arrêter de repriser draps, chaussettes et autres chemises. Et qui auraient voulu laisser une trace avant de partir. Comme une lettre testamentaire ». Cette même artiste qui se réjouit d’avoir « fait la peau à Picasso ! Je l’adore, il est l’un des plus grands génies du monde, mais dans son rapport aux femmes, c’est un monstre. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer ses œuvres et toutes celles que je recouds. J’ai un profond respect pour la création. Je n’ai pas envie de les brûler, je trouve juste insupportable de savoir que certaines de ces femmes sont mortes de ne pouvoir créer quand d’autres n’en avaient même pas conscience ! » 

Avant de devenir comédienne improvisatrice, plasticienne, performeuse  « sur le tard », Marie Parent (ou Marnie Chaissac depuis 8 ans) a milité pour de nombreux projets d’éducation populaire comme travailleuse sociale, durant 12 ans. 

Près de 50 toiles et cartes postales sont exposées au Garage sur la presque centaine réalisée depuis trois ans, et c’est sans compter sur ces livres d’art qu’elle a « tous bousillés ! » ; le confinement « du genre » à l’origine de cette première « expérience physique », telle une « intuition ». Et devinez qui fut la première à s’être fait recoudre la bouche par Marnie ?  La muette… de Raphäel ! Alors motus et bouche cousue ? Ou on l’ouvre ? 

Vendredi 1er septembre, finissage avec une performance collective, au Garage (40, rue des Halles) à 18h30. Chacun (à la fois tisseur et tissé) est invité à venir avec son fil rouge pour détourner le lieu, le commenter, le recoudre, créer une toile d’araignée…
Ouvert à tous, gratuit sur inscription : lamorsure@gmail.com

Marie Bulteau
Journaliste pour Estuaire