Improviser dans un cadre dramaturgique

Créer un cadre dramaturgique à l’intérieur duquel on évolue librement est complexe car cela doit toujours interroger le fond et la forme de ce que l’on veut dire. Pourquoi improviser plutôt qu’écrire. Qu’est-ce qui est écrit ? Qu’est-ce qui est improvisé ? Et surtout pourquoi on a fait ces choix ? Ces questions sont généralement absentes de l’improvisation traditionnelle car on pense que l’écriture nuit à la spontanéité, à la vraie impro. Alors que l’un n’empêche pas l’autre.

Pour parvenir à ce résultat il est nécessaire que l’improvisateur.ice renonce au plaisir égoïste et valorisant de se croire capable et responsable de tout ce qui arrive sur scène. D’être reconnu pour soi par le public, pour ses qualités d’artiste. C’est d’ailleurs quelque chose qui est entretenu, en particulier dans le match d’improvisation par la remise des étoiles au meilleur joueur.euse. C’est la partie la plus visible, mais ce sentiment de toute puissance existe dans tous les spectacles d’improvisation et est un moteur très fort. Comme dans le théâtre, c’est souvent pour se sentir narcissisé que l’on en vient à devenir acteur.ice au départ. Il est donc nécessaire d’apprendre à l’improvisateur.ice à mettre ses qualités au service d’une oeuvre.  Au tout début de la compagnie, nous avons été très mal reçus pour cette approche car nous avions fait jouer des improvisateur.ices stars avec un fort égo. Ils avaient été pour la plupart hostiles à notre démarche. Nous avons, avec Marie Parent, essuyé quelques revers. Certainement par peur de l’inconnu. Paradoxalement, servir une œuvre qui possède une assise dramaturgique tout en développant une force de signifiant libère l’interprète, lui permettant ainsi d’incarner pleinement tout en se libérant de la pression du public. C’est à mon sens ce qui permet de résister à la tentation d’un cabotinage sécurisant.

Lorsque je parle de cadre, je ne parle pas de “format” ou de “concept”. Les différents “formats” classiques (même les formes longues) ne portent pas le fond, le propos, les intentions. Ces éléments sont laissés aux interprètes. Hors,  le fond doit se travailler autant que la forme, en amont. Cetain.es improvisateur.ices ont naturellement un jeu profond mais cela ne garantit pas la qualité ou l’identité artistique du spectacle. Penser le spectacle improvisé comme une création artistique qui défend un propos artistique, esthétique, conceptuel et intellectuel est je crois ce qui permet de tendre vers une forme artistique qui dépasse la virtuosité et l’intérêt pour cette pratique.

Dans nos spectacles, la mise en scène, les déplacements, les intention de jeu, la teneur de la conversation ou encore la constructions dramaturgique de la scène peuvent être contraintes… Alors qu’est-ce qu’il reste à improviser ? Le texte, la curiosité du jeu, la liberté dansle cadre… C’est ce qui nous rapproche le plus du théâtre écrit mais c’est le frottement, la vibration entre l’imprévu et la structure qui laissent la place au spectateur et révèlent le processus créatif.  Dans la résolution du problème posé , l’improvisateur.ice trouve des solutions grâce à son imagination et sa technique rendant l’ensemble dynamique et vivant.

Dans un cadre extrêmement serré comment un espace espace de liberté permettant de conserver l’intérêt d’improviser ? Que reste-t-il à se mettre sous la dent ? A l’inverse, Qu’elle est l’intérêt d’avoir un cadre s’il est trop ouvert ? Pour rester dans l’improvisation il faut s’interroger sur l’essence de la scène, l’isoler comme une cellule, l’analyser et créer un moteur de jeu vivant qui sera au service du propos et de l’improvisateur. J’entends par moteur de jeu, la dissociation de ce qui est figé et de ce qui ne l’est pas afin de donner une direction claire à la scène. C’est un canevas qui indique certains objectifs dramaturgiques, des étapes, des enjeux. Ce moteur peut ainsi être renouvelé à chaque fois car il ne s’agit pas d’un moteur narratif, de raconter une situation, mais de chercher à interroger le jeu en lui même.