Exégèse du dogme de Méta

Nous travaillons, explorons et interrogeons la matière Meta avec Marie Parent depuis les débuts de la Morsure. A partir de cette première base conceptuelle et cette matière théâtrale que j’ avais élaborée sous une première forme avec Julien Gigault, nous n’avons eu de cesse, Marie et moi, de l’enrichir l’un et l’autre en y apportant chacun notre spécificité pour créer un langage propre et commun. Ainsi, l’éclairage que j’y apporte aujourd’hui se nourrit de 8 ans de recherche de concert.

J’ai écrit ce dogme pour le premier “2” en 2015 et il a très peu changé depuis. Je n’y ai pas réfléchi longtemps, il est sorti comme ça. Je ne l’avais jamais explicité auparavant, comme je n’avais jamais utilisé le mot “exégèse” par le passé. le dogme du spectacle Meta “2” est lu à chaque représentation Méta, depuis la toute première représentation.  Il semble souvent assez absurde et abscons. Il amuse mais est un véritable socle qui explique ce qu’est Meta et le risque de jouer ce spectacle. Il annonce qu’on essaie mais qu’on est pas sûr de réussir à le jouer tant il est sur le fil. Comme souvent à la Morsure, il est sur un double langage. Il est très sérieux et premier degré mais décalé dans la forme. Chaque commandement est une condition et une règle du jeu. En même temps, la forme elle-même est remplie de questions sur le spectacle. Est-on capable de le jouer ? Est-ce un spectacle ? Commence-t-il vraiment ? Il se veut directif mais incite à la transgression. Il offre une énigme à résoudre et l’ambition d’offrir un moment honnête, voire un défi impossible à accomplir.

2 n’est pas un duo, 2 est un dogme

Ce n’est pas parce qu’on joue à deux que ça doit être un duo. Cela peut être un duel, deux solos… Ce premier commandement souhaite annoncer au spectateur qu’il s’engage lui-même dans un moment sérieux et absurde à la fois. Jouer Meta, c’est pratiquer et transmettre un message. Une manière de jouer qui cherche à mettre à nu le processus créatif. Ce premier commandement dit : malgré les apparences, malgré la complexité de ce que l’on va proposer, nous respectons un dogme. Nous ne faisons pas n’importe quoi. L’art est quelque chose de sérieux et dangereux. Il y a aussi la volonté de s’extraire de la banalité de l’improvisation où tout le monde joue en duo. Je souhaite à travers ça, affirmer une certaine prétention, échapper à la vacuité et prétendre à quelque chose de plus grand. Tenter sincèrement de proposer au public d’assister à la création d’une œuvre et de son processus mis à nu. 

2 se joue toujours avec 2 acteur.ices différent.es : Si 2 comédien.nes jouent 2 fois 2, ce n’est plus “2”, c’est “4”. Si on joue “2” à 3, ce n’est plus “2”, c’est « 3 ».

Rendre l’instant précieux et unique. Unique pour les acteurs et aussi pour les spectateurs. Quand le spectacle sera fini nous ne jouerons plus jamais 2 ensemble. Ce commandement met en lumière le sentiment de perte à la fin d’un spectacle et le célèbre. Ce que nous avons vécu ici est perdu. Bon ou mauvais, “Désormais, on ne nous verra plus ensemble”. C’est aussi l’assurance de protéger l’acteur.ice de la banalité, de la triche. On ne vient pas voir un duo éprouvé. On vient voir une œuvre unique et non reproductible qui n’a pour forme que son langage et la volonté de chacun.e de tendre vers la création artistique et l’authenticité.

2 s’appuie sur le concret du jeu : décors, objets, partenaires, public. Le temps lui-même est matière au jeu. 

Comme tout existe. Alors Tout est vrai. Donc tout est faux. Tout est matière au jeu. Ici, la mise à nu du processus créatif passe par l’acceptation et l’explicitation de “l’ici et du maintenant”. Nous avons l’intime conviction que la mise en abyme et l’acceptation du réel sur scène renforcent l’accès à la fiction. C’est par l’affirmation que nous sommes ici et maintenant dans le réel, au milieu des spectateurs, dans un bar, sous une lumière crue, à exposer notre personne, le contexte du spectacle que nous pouvons entraîner avec force le spectateur.ices dans la fiction et une expérience artistique personnelle. 

Depuis nos débuts, nous cherchons à questionner la place du spectateur. Pourquoi le cinéma peut-il créer des émotions puissantes alors que l’on connaît l’acteur.ice, que l’on est dans son canapé ou dans une salle de cinéma ? Par l’acceptation du réel. Comme je suis protégé dans ma place de spectateur, je peux complètement accepter la fiction. Pour renforcer cette sensation, nous faisons des allers et retours entre différentes couches fictionnelles. Car il y a une supercherie dans la Méta. Celle-ci provient du fait que, malgré les apparences et les 3 niveaux de jeu annoncés (Personne, acteur, personnage), tous les niveaux sont fictionnels. Même si on dit la vérité, que l’on raconte un souvenir personnel, tout est théâtre et donc faux. Le travail de l’acteur.ice Méta est de mettre en scène cette vérité pour qu’elle devienne fiction sinon elle n’a aucun intérêt et devient une matière encombrante pour les spectateur.ices. Nous appelons ça “le voile de pudeur” mais c’est tout simplement une transformation artistique du réel.
 
2 dure 1h02. On commence quand le réveil indique 0 et on s’arrête à une heure 2. Avant l’heure ce n’est pas 2. Après l’heure ce n’est plus 2. Mais 2 commence-t-il vraiment ?

C’est une des phases que je préfère dans ce spectacle. Le début commence par une négociation et une auto-analyse de son état de jeu. Est-ce qu’on a commencé à jouer ? Comment le savoir alors que nous sommes déjà sur scène, face au public, assis chacun.e d’un côté de la table. Comment savoir si on a commencé à jouer ? C’est quoi l’état de jeu ? Quelles transformations s’opèrent en nous pour dire que nous devenons acteur.ices ? Même quand je joue ce spectacle, j’ai du mal à retenir ce moment, car quand on est d’accord sur le fait qu’on a commencé à jouer, on lance le chrono pour 1h02. Et il s’arrêtera au bout de ce temps inéluctable. J’aime aussi savourer cette peur car quand ce sera commencé ce sera déjà fini.

2 est une mise en abyme du spectacle d’improvisation. Il a pour vocation de mettre à nu les fondamentaux techniques. Mais quand on joue 2, est-on vraiment en train de jouer ?

Meta est une mise en abyme du spectacle que l’on essaie de jouer. Ce spectacle est improvisé mais au travers de ce commandement, j’avais le désir de dire que jouer Meta, c’est interroger et revisiter les conventions. On se doit d’inventer, mais on ne peut pas inventer le théâtre. Malgré les apparences, on s’inscrit dans une certaine tradition. Quant à la conclusion, elle reprend la question précédente mais elle l’explicite. Je reste passionné par la question de l’état de jeu et du processus créatif. 

Qu’est-ce que l’on convoque, qu’est-ce qui se transforme quand on joue ? Comment se met-on à briller ? A devenir différent ? Je parle parfois d’un état de jeu intermédiaire que je nomme le sous-jeu. On sous-joue. On est préoccupé, dans sa tête, à réfléchir ou tétaniser. C’est une impression très malaisante pour le spectateur. Encore un paradoxe de l’improvisation : alors qu’on vient voir de l’improvisation, on déteste voir les acteurs en difficulté ? Alors qu’est-ce qu’on vient voir ? Comme pour l’équilibriste, on ne vient pas le voir tomber. On vient le voir réussir à ne pas tomber. On voit aussi dans le sport, des athlètes contre-performer à cause de leur mental, sortir de leur match. Comment faire pour ne pas sous-jouer ?  Je pense que tout notre travail, comme pour les sportifs, est d’être entièrement à ce qu’on fait et sur 3 niveaux. On doit les aligner.

2 ne se prépare pas. 2 se vit au présent. Les comédiens peuvent se retrouver 2h avant le spectacle mais ne doivent jamais parler du spectacle. D’ailleurs, est-ce que 2 est un spectacle ?

Cette partie est un peu de l’esbrouffe. Dans les quelques premiers “2”, nous le respections mais la META est devenu un langage, un style de jeu à part entière alors il est nécessaire de préparer un peu. Il ne s’agit pas ici de transmettre un format de spectacle, mais les rudiments du langage. Les règles du jeu en quelque sorte. On ne se dit pas ce qu’on va faire ou préparer des scènes. Malgré tout, dès que l’on connaît la distribution du spectacle, on est tendu vers le moment et on fantasme ce que l’on va y faire. 

En revanche : “Est-ce un spectacle ?” Je peux dire que ça dépend un peu des fois. C’est en même temps une performance, un master class et du théâtre… C’est une forme spectaculaire théâtrale avec un public… Donc c’est certainement un spectacle. De plus, venant de “La Morsure”, c’est assez drôle de dire qu’on ne doit pas préparer car nous avons, à nos débuts, été pas mal décriés pour nos spectacles qui n’étaient pas “de la vraie impro”. D’ailleurs aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce qu’est la “vraie impro”.

2 est personnel. 2 parle des comédiens qui le jouent. De leur relation. Si on ne ressort pas de 2 comme après une chute dans les escaliers, ce n’est pas 2.

C’est certainement la partie que Marie a le plus nourri dans la Méta. Ça correspond aussi à son style de jeu, à la façon dont elle aime jouer le niveau “personne”. Raconter des souvenirs et les mettre en scène. Ça m’arrive souvent quand on joue ensemble de rentrer dans ses souvenirs et de jouer des personnages de sa vie et vis versa. On parle alors du “JE fictionnel”. Une version de soi fantasmée. Matière première de la fiction. Être personnel, c’est aussi se révéler au travers du jeu. Laisser apparaître notre personne par transparence. Accepter de nous montrer vulnérable et au plus proche de nous. J’aime voir les acteur.ices travailler, chercher. Je pense qu’il faut être honnête et donner de sa personne. Ceci au travers de la fiction. Le voile de pudeur cache, mais laisse passer la lumière. Il n’est pas opaque.

La chute dans les escaliers, c’est un peu ce que l’on ressent et recherche dans ce travail. S’étourdir pour entrer dans une sorte de transe. Je me suis rendu compte récemment que lorsque Meta était réussi, le public aussi avait l’impression d’être tombé dans les escaliers. Il sortait hébété du spectacle. Mais cette impression est aussi une mise en garde contre la routine. On doit sortir bouleversé sinon ce n’est pas 2. C’est qu’on a maîtrisé son spectacle. Il doit nous échapper à un moment. Je dirais que les 40 premières minutes du spectacle doivent nous amener à un GOLDEN TIME lors des 20 dernières minutes. Tout doit nous amener à marcher sur l’eau à la fin.

2 navigue toujours entre les lignes. Entre comédien et personnage, entre personnage et personne, entre sincérité et sur-jeu, entre lâcher prise et hyper conscience. S’il n’y a pas 2 niveaux de jeu ce n’est pas 2.

Plus on définit la MÉTA, plus elle doit nous échapper. Elle doit rester une matière vivante en mouvement. D’ailleurs je n’arrive pas à choisir entre dire LA  MÉTA ou juste MÉTA… C’est une matière que chacun.e doit explorer et s’approprier. Ce langage a des codes, des bases mais a pour but d’être PERSONNEL au service de l’universel. 

2 se transmet, 2 ne se copie pas. 1 des 2 doit déjà avoir joué 2, sinon ce n’est pas 2.

Au début de la Morsure, nous avions peur de nous faire plagier. C’est quelque chose de courant en impro. On voit un spectacle, une scène et on se dit :”Tiens ! C’est bien ça ! Je vais faire pareil !”. En fait, aujourd’hui, on continue de refuser que des comédiens jouent nos spectacles sans nous car nous souhaitons continuer d’être garants de l’identité artistique de ce que nous proposons. Il y a un endroit de transmission, mais aussi de propriété intellectuelle qui est parfois difficile à faire comprendre. 

2 est un doigt fièrement tendu vers le ciel.

Pour que META reste une matière vivante, il faut continuer à transgresser. La META c’est la révolte, c’est le mouvement, c’est le PUNK. Le dogme aussi est fait pour être transgressé.

 Le Dogme secret

Quand Marie et Christophe joueront 2, ce sera la fin de la Morsure.

Nous aimons beaucoup jouer ensemble Marie et moi mais nous avons ajouté ce dogme, peut-être par peur de la banalité et pour ajouter une dimension ésotérique à ce spectacle, nous avons ajouté ce dogme. Est-ce que nous jouerons un “2”  lorsque La Morsure sera terminée ou est-ce que jouer un “2″ provoquera la fin de La Morsure ? Alors nous jouons des 2,5 – des 3 avec des invités, des 2 fois 1… Mais jamais de 2.